MANIFESTE DE L’EPHEMERE. Exposition été 2013
Quelques pistes …
« Capter l’éphémère… » que je complète ici : « … pour en
déployer l’éternel» est une phrase de Lao Tse, philosophe du VIeme siècle before-present. Le
travail de création se fait au fond des ateliers et nous y faisons des choix
solitaires dont nous espérons qu’ils seront les bons. S’appuyer sur « l‘éphémère » fait partie de ces choix,
une attitude pour tenter de redonner
quelques instants insolites au spectateur.
- Attitude philosophique dirions-nous. Debout dans l’atelier, face à la terre humide ou au plâtre liquide, dans les premiers gestes qui feront la sculpture, je fais un choix. Celui d’un mouvement, celui d’un intervalle dynamique. Attitude, qui fera osciller la sculpture aboutie entre la vision d’un reconnaissable et sa disparition. Si je change cette ligne, la lecture de l’œuvre sera totalement différente.
Ce que je cherche dans les sculptures : un moment de vie
très précieux, un mouvement très léger, qui effleure une vie et qui écoute le
monde. Avant et après ce «reconnu» n’existe pas. J’ai employé le concept dans
mes premières expositions de « gestes rescapés de la nuit ».
Donc attitude philosophique choisi vers un élan suspendu,
un intervalle, une interrogation.
- Attitude poétique en second lieu. Celle de se créer un choix d’écriture, avec le désir de relier des fils graphiques dans une œuvre. L’artiste travaille pour que cette bouteille lancée en mer reste lisible pour un spectateur.
Mise en place d’une
écriture : je choisis de représenter un mouvement, une écoute d’un avant
et d’un après, je garde une fidélité à l’humain, je regarde le geste du danseur
dans la lumière, j’accepte la mémoire des temps dont nous sommes faits, celle
de la mer. Les fils entremêlés dans une œuvre sont des choix propres à chaque artiste. C’est
ce qui fera son écriture, sa poésie. Une vie d’artiste est longue, un fil
conducteur se met en place qui mènera de sculpture en sculpture, de matériaux
en matériaux vers une interrogation à plusieurs degrés. C’est le processus
créatif qui fera l’œuvre, non le produit fini.
De création en
création, comme un essayiste ou un romancier, j’explore comment les formes vont
signifier. Interroger l’éphémère toujours, pour en déployer la poésie, ce que
Lao Tseu décrit comme « l’éternel »,
c'est-à-dire pour nous la confiance
indicible en ce qui fait recommencer et recommencer la vie, ce qui fait
« que nous ne lâchons rien ». En tant qu’artiste, nous sommes tout à la à la
fois d’un orgueil terrible et d’une modestie artisanale. La matière et
particulièrement la sculpture sont des arts très lents, très longs pour faire
danser la matière par nos intentions créatives.
Ce n’est jamais gagné
et jamais atteint. Artisan de l’éphémère
serait un nom de métier qui me conviendrait.
- Troisième point d’appui : l’éphémère est attitude politique. Choisir le mouvement, l’accepter comme action artistique est un choix de résistance. Pour les artistes professionnels de notre génération, nous ne pouvions et ne pouvons toujours pas créer innocents ou pour faire joli. Faire de la sculpture au 21eme siècle se fait par une connaissance de ce qu’a impliqué l’histoire de la sculpture. Cette notion de «représentation» créée par l’artiste n’a été bien souvent que le complice des plus grandes injustices et l’ami des dictateurs toutes tendances confondues.
En sortant des Beaux Arts, j’ai cherché comment faire de la
sculpture. Ce choix d’interroger l’éphémère entre, je l’espère, dans d’autres lectures
que la commémoration perpétuelle des puissants ou pire, des sacrés coercitifs. « Donner
une voix aux sans voix » est plutôt dans mes objectifs.
Humaine pensant et produisant graphiquement, je prends
forcément la parole sur l’état du monde. Et avec la conscience du guetteur. J’y
prends une responsabilité, celle d’avoir la liberté de pensée. Si beauté il y a,
j’ai fait le pari qu’elle est dans les
métamorphoses perpétuelles et la lucidité libre du geste.
Cette légèreté, un artiste l’explore pendant plusieurs
jours ou semaines pour une peinture, plusieurs mois sur une sculpture et
plusieurs années pour un film ou un livre, «le temps du projet», l’enquête. Cette légèreté se transforme en une question
qui ne se soumet pas forcément à l’erreur collective ou à l’indifférence de la
nature. Toujours cet incroyable orgueil et un travail artisanal des plus modestes.
Voilà mon travail, tout cela est dans les œuvres de beaucoup d’artistes. Certaines
portent le regard et l’interrogation
sur la nature qui nous dépasse, d’autres sur l’organique, d’autres encore sur
la fragilité de l’humain.
Visiteur, je vous
remercie d’accepter la promenade .
Bénédikte Faugère, Juillet 2013
Texte de présentation lors d'une exposition de cette année.
Le chemin est long , il y a du travail les artistes.
ATELIER-EXPOSITION du 2 août au 15 septembre
RELAIS SCULPTURE ROUERGUE
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